Interview David Le Dantec

D LE DANTECIl occupe le poste de sélectionneur national des Collectifs France Seniors Masculin et Féminin depuis le début de la saison 2022. Champion du monde en 1995 et 1996, âgé de 51 ans, David Le Dantec est un homme discret, qui pose peu à peu les pierres d’un édifice qui devrait permettre à la France de continuer à briller dans les épreuves internationales demain. Un challenge beaucoup plus ardu que certains ne veulent bien le penser. Entretien.

 

D LE DANTEC

 

La saison  2023 a pris fin avec au total 4 médailles d’or, 2 médailles d’argent et 5 médailles de bronze pour la France dans les collectifs dont vous avez la gestion. Ce bilan est-il satisfaisant à vos yeux ?

 

Oui et non. Oui parce que les titres ou les médailles ne sont pas acquis d’avance. Je ne cesse de le répéter et je suis toujours étonné que ce ne soit pas une évidence. La Pétanque est un sport. Si la France a gagné d’avance, il n’y a plus d’enjeu, plus de suspense, plus de compétition, plus de sport. Il n’y a pas un seul athlète français qui parte au Championnat du monde ou d’Europe en se disant que ça sera facile. Ce serait le meilleur moyen de passer à côté de l’épreuve. Et pourtant, une bonne partie de nos supporters ne comprend pas que la France n’obtienne pas que des médailles d’or. Moi j’en rêve bien entendu. Et je ne peux pas nier que chez les hommes, nous avons enchainé les médailles d’or pendant de longues années. Mais nous sommes dans une autre phase. Et non parce que nous avons échoué à plusieurs reprises tout près du but, ce qui est dommage.

Pour être précis, au Bénin en septembre, Dylan Rocher a conquis une médaille d’or en tir de précision dans les conditions que l’on sait. Il a aussi obtenu une médaille d’or en doublette avec Christophe Sarrio. Ce sont deux titres importants et je félicite à nouveau ces deux joueurs pour être allé chercher ces couronnes. Dylan a encore décroché une médaille d’argent en doublette mixte avec Audrey Bandiera, en luttant jusqu’au bout, dans un beau moment de sport. Chez les hommes, les deux autres médailles ramenées du Bénin sont en bronze, une pour Christophe Sarrio en Individuel, l’autre pour Dylan, Christophe, Stéphane Robineau et Mickaël Bonetto en triplette. Dans les deux cas, nous avons été stoppés par les Thaïlandais. Je ne peux pas vous dire que je suis satisfait, et je ne peux pas non plus vous dire que c’est un scandale. Ce qu’il faut, c’est que ces défaites nous permettent de gagner la prochaine fois.

Nelly Peyré et Audrey Bandiera ont ramené une médaille d’argent en doublette et une médaille de bronze en Individuel. La France est sur le podium, une fois défaite face à la Thaïlande, une fois défaite face à la tunisienne Mouna Beji.

Les Championnats du Monde Triplette Féminin et tir de précision se sont tenus en Thaïlande en novembre. Nous en sommes revenus avec une médaille de bronze en triplette. Bien évidemment, c’est insuffisant au regard de nos ambitions. Nous savions que ce serait difficile. Le Vietnam et le Laos (en tir de précision) nous ont battus. Les pays asiatiques sont très clairement compétitifs. La France était la seule nation européenne présente en demi-finale du triplette. Là encore, nous mettons en place le travail nécessaire franchir ce dernier cap. Je note toutefois quand dans les tours préliminaires qualificatifs, nous finissons premiers en étant la seule équipe invaincue. J’y vois le signe d’une plus grande consistance par rapport à il y a quelques années. Il faut donc désormais réussir à transformer cette constance en confiance pour obtenir les titres.

Les Championnats d’Europe Masculins étaient accueillis à Albertville en septembre. Nous étions à domicile avec une forte attente. Et nos français sont allés chercher la médaille d’or de belle façon, en détrônant l’Italie. C’est un motif de satisfaction, d’autant plus que l’équipe était renouvelée. Ludovic Montoro, Philippe Suchaud, Jean Feltain et David Doerr ont fait honneur à la France et ont ravi le public. David Doerr a obtenu une médaille de bronze en tir de précision à cette occasion.

Je salue également l’équipe de France Vétérans que coachait Philippe Quintais. Ils ont eux aussi été largement à la hauteur. Michel Loy, Christian Fazzino, Marco Foyot et Christian Lagarde ont conservé le titre avec brio.

 

Vous parliez d’une nouvelle phase. Après les retraites internationales de deux cadres historiques des équipes de France féminine et masculine qu’étaient Angélique Colombet et Philippe Quintais, peut-on dire que nous sommes dans une phase de transition actuellement ?

 

Je parlerais plutôt d’une phase de transmission. D’ailleurs je tiens beaucoup à cette notion. Dans tous les sports, les équipes qui connaissent une période de domination connaissent aussi naturellement ces périodes de post domination. Ce sont des moments très intéressants car même s’ils ne sont pas systématiquement récompensés par des médailles d’or, la réflexion et la construction des collectifs sont enrichissants. Nous nous servons de nos cadres historiques pour transmettre à la nouvelle génération. Et ce travail va payer !

Chez les hommes, nous avons de toute évidence un groupe solide, composé d’un collectif de 13 joueurs. Cette saison 2024 va être décisive pour définir les 4 joueurs qui représenteront la France à Dijon en décembre. Nous savons l’attente de la fédération et du public français pour cet évènement. Nous prenons le temps construire, et de transmettre. Rien n’est établi à ce jour. Cet été, deux équipes de France seront engagées dans les Masters de Pétanque en plus des équipes qui participeront aux divers supranationaux. Je tiens à ce que les 13 joueurs se sentent concernés. Il a longtemps été reproché au staff de ne pas renouveler les effectifs. Aujourd’hui, les plus anciens doivent montrer leur capacité à maintenir un niveau de jeu irréprochable et décisif pendant de nombreuses saisons. Et les plus jeunes doivent prouver leur capacité à s’élever au niveau de leurs ainés. A l’heure où je parle, tous ont leur chance, mais il faudra mériter la sélection. Etre en équipe de France, c’est un état d’esprit. J'attends de nos sélectionnables un comportement de leaders, de la présence et de l'exemplarité sur les terrains. J'attends d'eux qu'ils assument de porter le maillot toute la saison jusqu'à ces Championnats du monde où seulement 4 auront l'honneur de représenter la France.

Chez les femmes, les Championnats d’Europe triplette et tir de précision auront lieu en juillet. 9 joueuses composent le Collectif Senior Féminin. Toutes auront aussi une chance. Mon discours n’est pas différent par rapport à ce que je viens de dire pour les hommes. Je souhaite des joueuses impliquées, investies, respectueuses de la fédération et du maillot.

Pour ce qui concerne les Championnats d’Europe Individuels, Doublettes et Mixte, nous avons été confrontés au problème du calendrier. Cette épreuve tombant en même temps que les Championnats de France Triplette, nous avons décidé de procéder aux sélections après les qualificatifs. Certes, nous avons pour ambition de décrocher des médailles, mais nous n’avons pas vocation à détruire le travail fait par les clubs avec les joueuses et joueurs sélectionnables. Aujourd’hui les clubs se structurent, recherchent des partenaires, accompagnent les athlètes, et la date choisie par la Confédération Européenne ne doit pas nous amener à priver les clubs du fruit de leur travail en empêchant leurs joueurs de disputer les Championnats de France.  Ce choix présente l’inconvénient d’une préparation ultra courte pour ceux qui seront sélectionnés. Et nous mettrons donc une priorité sur le mental.

 

Justement, pouvez-vous nous dire quels sont les points que vous allez travailler avec les athlètes en vue d’améliorer les résultats des équipes de France ?

 

Nous avons identifié quatre axes de travail dont nous savons qu’ils seront déterminants.

Premièrement la maîtrise de l’appoint. J’entends par là la maîtrise de la totalité des techniques d’appoint. La France a brillé pendant des années notamment en raison de sa grande qualité à l’appoint. Délaisser ce compartiment du jeu est une grave erreur, et les sélectionnables postulant au poste de pointeur sont avertis.

Deuxièmement la préparation physique. Les Championnats du monde ou d’Europe durent 4 jours. Je veux des athlètes préparés, conscients de l’importance du physique sur le résultat final, et capables de donner le meilleur lors de la dernière journée de compétition, celle où les titres se jouent.

Troisièmement l’aspect tactique. Cela doit rester un point fort des équipes de France. Nous devons avoir des plans de jeu types, une parfaite connaissance des forces et faiblesses de nos adversaires, et une donc une capacité à s’adapter. Le règlement a évolué ces dernières années, le lancer du bouchon est décisif par exemple. Rien ne doit être laissé au hasard par nos équipes de France. Le travail sur les courtes distances notamment est capital. Nous allons faire le nécessaire.

Enfin le mental. C’était une des forces de la France, notamment en raison de notre énorme expérience des grosses compétitions. Aujourd’hui, pour ce qui concerne la confiance, les italiens ou les thaïlandais sont au top. Nous devons donc de notre côté être préparés à ces confrontations très rudes, y compris avec des joueuses ou joueurs ne comptant pas beaucoup de sélections.

Si chacun est investi à la hauteur de ce qu’attend la fédération, je suis très optimiste sur notre avenir.

 

Vous n’avez pas évoqué le tir de précision. Considérez-vous que l’approche française en la matière soit bonne ?

 

Absolument pas. Le problème n’est pas récent. Et l’origine du problème est claire : l’entrainement. Nous avons un effort à faire dans la préparation au tir de précision. Nous devons y consacrer des moyens. Je vais d’ailleurs en profiter pour contester fermement l’idée reçue selon laquelle les membres des collectifs France ne travaillent pas. Ils sont au contraire tous en activité, ils ont tous un emploi. Certains ont des emplois du temps aménagés pour la compétition, mais l’entrainement pour une épreuve telle que le tir de précision est chronophage. Et nous n’avons pas la possibilité de reproduire le schéma thaïlandais, avec des joueurs disponibles 24 heures sur 24 pour préparer les échéances. Si nous pouvons et devons mieux accompagner nos athlètes, si nous devons tendre vers la professionnalisation, chacun doit comprendre qu’à ce jour les françaises et les français ne sont pas salariés de la fédération, elle n’en a pas les moyens. Ils ne sont pas à disposition de la fédération. Je lis trop souvent que les joueurs de haut-niveau gagnent beaucoup d’argent à la pétanque. S’ils en gagnaient suffisamment pour en vivre confortablement, ils n’auraient pas d’emploi. Et cela revient à la problématique que j’évoquais un peu plus tôt : tous les clubs qui s’investissent dans la professionnalisation des joueuses et joueurs doivent être encouragés et aidés et surtout pas entravés.

 

le dantec albertville